L'information corrompt l'événement
19/02/2001 Les élections présidentielles américaines de 2000 sont un bel exemple de cassure du principe de causalité. Résumons les faits : le jour des élections, les télévisions retransmettaient aux téléspectateurs des estimations sur les résultats, renouvelées très régulièrement. Ces estimations étant le résultat de sondages effectués à la sortie des bureaux de vote sur des votants et réalisés par des organismes spécialisés. Donc avant que les bureaux de vote ne soient fermés, les électeurs n'ayant pas encore voté avaient connaissance d'une approximation tronquée des résultats de l'élection en cours. De plus, ces estimations étant fournies sur la base d'un nombre de sondés relativement faible vis-à-vis du nombre de votants, leur précision (écart-type probabiliste) est très aléatoire.
Ainsi, le citoyen américain qui n'est pas encore allé voté croît déjà savoir quel candidat sera le plus probablement élu au vu des témoignages des votants qui sont compilés dans des chiffres appelés « tendances » par les analystes. Par ces chiffres (non officiels et qui n'ont aucune valeur légale), ce citoyen lambda peut éventuellement estimer que « finalement la partie est perdue » et donc ne pas aller voter. Alors, en admettant que de nombreux américains fassent le même raisonnement dans les 50 états des États-Unis qui disposent chacun de leurs propres tendances, ces estimations auront influencé le résultat final qui bien sûr n'était pas disponible avant le dépouillement des votes. Donc en essayant de se rapprocher de la prévision d'un événement futur encore inconnu, on influence la chaîne causal qui doit conduire à cet événement. Donc les prévisions sur cet événement participent aux causes. Physiquement, ces prévisions ne sont pas suffisamment précises pour prétendre être liées à cet événement du fait du très faible nombre de sondés comparé aux nombre de votants réels. Pourtant, les médias ont induit la confusion chez les votants en passant sous silence les degrés (élevés) d'incertitudes appliquées aux estimations. Cela fit passé les tendances pour être le résultat futur le plus probable. Ainsi des citoyens américains face à l'apparente défaite (ou absolue victoire) de leur candidat, ne se sont pas déplacés pour glisser leur bulletin dans l'urne. Et cela eut pour effet de fausser le vote (qui aurait pu basculer pour un camps ou un autre) et d'influer sur le résultat final effectif des élections. Ainsi le résultat du vote est lié à une cause qui se prétendait être une estimation découlant des votes. C'est paradoxal. Suite à cette situation malsaine, les médias américains ont promis de changer tout ça… Reste à savoir s'ils sauront se passer de l'immédiateté de l'information et s'ils choisiront de se frustrer en refusant de diffuser l'information (les estimations) que des chaînes concurrentes diffuseront de toute façon. Cette volonté farouche de diffuser l'information dans l'immédiateté sur des événement en cours de réalisation pose le problème d'un paradoxe apparent dans le principe de causalité puisqu'on a vu que des événements pouvaient avoir un effet rétrograde sur les causes les ayant engendrés. Et quand on sait qu'il s'en est fallu de peu pour la victoire de George W. Bush contre son rival, on ne peut que supposer que l'issue de cette élection aurait pu ne pas être la même si les médias n'avaient pas influencé les votants. |