Dès 1860, James Clerk Maxwell introduisit des considérations probabilistes à la thermodynamique. Mais il faut attendre 1877 pour que Ludwig Boltzmann établisse les règles du dénombrement statistique des états microscopiques compatibles avec un même état macroscopique d'un système. Il démontra que l'état macroscopique d'équilibre résulte d'une évolution statistique du système et donne une interprétation statistique de l'entropie S des systèmes en la reliant au dénombrement w de leurs états microscopiques : S=k.Log w. La probabilité des états observables est donc directement liée à celle des états microscopiques.
Auerbach remarqua que, recommencée dans les mêmes conditions, l'expérience ne donne pas les mêmes résultats. En effet, des conditions initiales identiques donnent lieu à des évolutions souvent très différentes. Et c'est d'ailleurs pour cette raison qu'il a étudié la nature statistique des données de temps et de température. Nous avons vu précédemment que les facteurs influençant la surfusion étaient extrêmement nombreux (Auerbach en dénombre une dizaine), on peut en déduire que l'état de surfusion relève du hasard. D'ailleurs, dans sa thèse sur la surfusion, Jean-Claude Delabrouille note le "caractère fondamentalement aléatoire de la surfusion aussi bien en grandeur qu'en durée". Ainsi, les systèmes étudiés sont-ils chaotiques. Nous nous référons alors à la théorie du chaos, théorie qui cherche à reconnaître de quelle nature est le hasard que l'on rencontre dans nos systèmes physico-chimiques ; elle consiste en l’étude des systèmes dynamiques non linéaires.
Par définition, un système chaotique amplifie les petits écarts initiaux ; il fait accéder les phénomènes microscopiques à l'échelle macroscopique ; il est fondamentalement instable de part sa dépendance sensitive aux conditions initiales qu’illustre l’exemple suivant reprit au célèbre météorologue Edward Lorenz : un battement d’aile de papillon à Pékin peut provoquer une tempête à New-York, c’est l’effet papillon. Il a donc un mécanisme amplificateur qui peut nous permettre de mieux comprendre le comportement de l'eau au niveau microscopique sans avoir recours à un matériel lourd (laser, accélérateur de particules, rayonnement par magnétisme nucléaire, spectroscopie, etc.). Malgré cet hasard, nous avons pourtant un résultat de stabilité : la moyenne statistique est voisine de la probabilité réelle ; il est expliqué par le fait que l'incertitude relative due aux mesures successives et les différentes erreurs d'approximations dans les calculs se compensent. Car en effet, Lorenz montra que les mesures ne peuvent pas comporter d’absolue précision et que l’on ne peut pas mesurer tous les paramètres en tout point de l’espace et du temps. A ce manque de précision s’ajoutent les nécessaires arrondis de calculs sur ordinateur (car la machine à ses limites, rapidement atteintes en dynamique non linéaire).
La géométrie fractale qu’apporta le chaos permit de mettre en évidence de l’ordre, des régularités dans tout système non linéaire, c’est-à-dire que les systèmes chaotiques pourtant soumis au hasard dépendent de lois qui régissent leur structure. Ces formes fractales sont visibles dans l’espace des phases de ces systèmes. L’invariance d’échelle, caractéristique majeur de l’image fractale, permet d’accéder à des échelles très différentes tout en conservant l’ordre et la régularité. Les systèmes chaotiques établissent donc un pont entre les échelles macro et microscopiques. Nous avons vu plus haut, avec l’effet papillon, que les petites échelles interféraient avec les grandes puisque de petits événements atteignant un seuil critique pouvaient engendrer des grosses perturbations. Mais en changeant d’échelle (par delà la dimension fractale), en passant du modèle macroscopique à celui microscopique, survient de nouveaux phénomènes, des comportements différents ; comme la physique quantique se différencie de la physique classique, lors du passage de l’échelle macro à celle microscopique, l’observateur doit s’attendre à différencier ses moyens d’étude sur les données accessibles par l’espace des phases, voire par un diagramme spectral (résultant de l’étude de la fréquence des données) au lieu de la traditionnelle statistique dont on observe rapidement les limites.
De plus, les systèmes chaotiques ont non seulement des conséquences logiques et nécessaires mais ces dernières sont quelque fois inattendues ; comme par exemple, la probabilité 0.21 pour -8°C>Tf>-10°C qui surprit David Auerbach. Les systèmes étudiés sont irréversibles (car processus de changement d’état) et sensibles aux conditions initiales dont les paramètres de base sont modifiés dans des proportions infinitésimales très difficiles à saisir. En outre, ce sont encore des fluctuations aléatoires de densité dans la phase liquide qui donnent naissance à des agrégats d'atomes en phase solide qui, pour certains, atteignent une taille critique suffisante pour devenir des germes de cristallisation, provoquant ainsi l'arrêt de la surfusion et donc le retour à l'état stable : le solide. La théorie du chaos a pour effet la représentation de phénomènes présentant des irrégularités ou étant aléatoires. Elle propose un modèle déterministe pour l'étude des systèmes chaotiques au lieu de celui stochastique qui, par définition, ne permet strictement aucune prévision. Théorie qui convient donc tout à fait à l'étude de systèmes en surfusion.
Nous savons qu'en thermodynamique classique, l'entropie (dégradation de l'énergie) d'un système évoluant irréversiblement (c'est le cas des échantillons d'Auerbach) ne peut que croître et l'état d'équilibre correspond à un maximum de cette entropie. Or, en thermodynamique statistique, on peut assimiler l'état d'équilibre à l'état macroscopique le plus probable. On peut ainsi établir une relation entre l'entropie et la probabilité thermodynamique. Et c'est pourquoi les résultats statistiques ont si longtemps été primordiaux lors des études antérieures.
J’insiste lourdement sur la nature statistique de certaines données (temps et températures) ainsi que sur les probabilités qu'elles entraînent car nous ne pouvons que faire des prévisions de ce qu'il adviendra du système selon un état (la surfusion) et des conditions données. Aristote considérait, à juste titre, que tout phénomène est divisible en deux parties qui se trouvent, l'une par rapport à l'autre, dans un rapport de cause à effet ; comme le principe de causalité dans la physique quantique. Mais dans la physique, il y a une infinité de causes : le nombre de chaînes causales est infini, c'est pourquoi, je pense fortement que la théorie du chaos convient à l'étude du phénomène de surfusion et donc à l'explicitation de l'effet Mpemba tout en bannissant la pure statistique.